ISABELLE BONZOM
"Les limpidités d'Isabelle Bonzom"
par Baldine Saint Girons
"Les limpidités d’Isabelle Bonzom" par Baldine Saint Girons
Professeur de Philosophie, Baldine Saint Girons est spécialiste d'Esthétique à l'Université de Paris X-Nanterre. Commissaire d'exposition, elle est co-auteur de l'exposition Le paysage et la question du sublime au Musée de Valence, en 1997. Elle est aussi l'auteur de nombreux ouvrages. Elle a publié, notamment, Le Paysage et la question du sublime (Ed.R.M.N/Seuil 1997, 2ème éd.2001) et Le Sublime de l'Antiquité à nos jours ( Ed. Desjonquières). Elle vient de publier Les Marges de la nuit aux Éditions de l'Amateur.
La force et la tranquillité frappent dans les tableaux d’Isabelle Bonzom, mais d’abord des limpidités inédites. Limpide est–il équivalent à “ liquide ” ou bien dérive–t–il du grec lampô qui signifie “briller”? Quoi qu’il en soit, les peintures d’Isabelle unissent le fluide au clair et au lumineux; des couches successives apparaissent, rendant sensible à l’histoire et donnant le sentiment aigu du kairos —instant propice où les choses se révèlent et peuvent être comprises.
Le médium par excellence d’Isabelle est l’aquarelle. Regardez ses “viandes” : elles sont peintes aussi tendrement qu’un paysage. Le rose pâle, le carmin et l’orange transparaissent sous le vermeil et l’écarlate; le gris et l’amarante affleurent à travers le beige et le blanc, posés à larges touches neigeuses. Sur fond d’encre noire surgit un plat de côtes jamais vu; deux ficelles claires l’entraînent en lévitation et le reflet de son apparition s’étale sur une planche. Grâce à des superpositions constantes de touches nous croyons traverser la matière et atteindre ses centres de phosphorescence.
Les membra disjecta offerts à notre vision ne nous reprochent point une cruauté complice des abattoirs. Rien du cadavre ici, mais l’éclat de la chair devenue imputrescible. Rien, par ailleurs, qui appelle la fourchette et le couteau, mais une rutilation pure, une glorieuse crudité qui convoque un regard épris de vérité et d’organisation. Toute la beauté du monde est là : parfaite distinction, ingéniosité de fabrique, profondeur radieuse. La quête du beau, comme l’a montré Galien commenté par Jackie Pigeaud, s’étend au–dessous des fines enveloppes de peau. Et la nature est un Phidias de l’intérieur.
Nulle sanguinolence, pourtant : une apparition mesurée, contenue. Le plat de côtes surgit fugitivement dans notre champ visuel, telle une épiphanie. Va–t–il rentrer dans la toile et disparaître à jamais? La triade de la nuit noire, d’un plat de côtes rouge et blanc et d’une flaque de lumière semble émerger d’un instant unique.
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© Isabelle Bonzom
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